samedi 31 mars 2018

CINEMA DE MINUIT - ¨PLEURER COMME UNE MADELEINE...

Bonjour les amis !

Dimanche, à 00 H 30, sur F3,  poursuite de ce qui doit être considéré comme un cycle consacré aux productions Jacques Roitfeld  récemment restaurées ( Nana, Adorables Créatures ) : Les Amoureux sont Seuls au Monde (1948), de Henri Decoin...


Après une tournée longue et difficile en Amérique latine durant l'Occupation, Jouvet, fatigué et prématurément vieilli, fit pourtant un retour fracassant au théâtre comme au cinéma après la Libération .
Pour lui, la priorité était claire : ses cachets cinématographiques devaient servir à financer ses créations théâtrales. Il demandait juste à lire le scénario, puis disait oui ou non. Très populaire, il enchaîna les succès : Un Revenant, Copie Conforme...




C'est en sortant du triomphe de Quai des Orfèvres qu'il accepta ce film, avant tout pour travailler à nouveau avec son vieil ami Henri Jeanson. Qui plus est, dans ce mélo où il doit jouer un compositeur partagé entre sa femme et une de ses élèves, il doit partager l'affiche avec une autre fieffée théâtreuse : Madeleine Renaud.

Le tournage commence donc sous les meilleures auspices. Seulement voilà : au bout de quelques heures de tournage , le grand opérateur Armand Thirard doit se rendre à l'évidence : la lumière vieillit Madeleine, qui, dans le film, doit avoir quelques années de moins que Jouvet ( ce qui est le cas dans la réalité). Ce qui pose un problème de crédibilité. Alerté, le mari de Madeleine, Jean-Louis Barrault, tape un scandale et exige le remplacement de Thirard par son ami Louis Page. Qui fait le même constat.
Madeleine Renaud est donc in fine remplacée par sa consoeur Renée Devillers , qui n'a que deux ans de moins ! Mais l'éclairage a tranché...


De toutes façons, le véritable atout charme du film n'est pas à chercher dans le rôle de l'épouse, mais bien dans celui de la jeune maîtresse, incarnée par la cutissime Dany Robin.


Cet ancien petit rat de l'Opéra séduit le Tout-Paris de la Libération par sa beauté mutine et c'est à 19 ans qu'elle obtient son premier rôle important dans Le Silence est d'Or, de René Clair...


Dès lors, elle pousse, pousse , et confirme, avec le film de ce soir , une réelle cinégénie. Elle devient rapidement la petite fiancée du cinéma français. Son mariage avec l'acteur Georges Marchal, et les nombreux films qu'ils tourneront ensemble, accentueront sa popularité, jusqu'à ce que la concurrence de Martine Carol, puis de Brigitte Bardot, la contraigne à accepter des besognes plus coquines, mais moins intéressantes...

Le film bénéficie d'un réel savoir-faire à tous les niveaux , notamment au niveau de l'interprétation, qui réunit de nombreux jeune talents tels Philippe Nicaud, Philippe Lemaire et Brigitte Auber (qui sera la rivale de Grace Kelly dans la Main au Collet, de Hitchcock)...


Mais cela ne suffit pas complètement à rattraper la banalité du sujet , que l'on croirait évadé d'un film de 1931...
Deux curiosités à signaler : la présence  , sur de nombreuses affiches (voir ci-dessus ) , du nom d''Annette Poivre , alors qu'elle ne figure pas dans le film ! Rôle coupé à la dernière minute ? Mystère...
Et puis surtout, à l'instar de La Belle Equipe, de Duvivier , deux fins ont été tournées : l'une tragique, l'autre heureuse.
Le Cinéma de Minuit vous propose ce soir les deux, l'une après l'autre !

(Court) extrait :


A plus !

Fred.


samedi 24 mars 2018

CINEMA DE MINUIT - INVENTAIRE 52...

Bonjour les amis !

Dimanche, à 00 H 35 sur France 3 : Adorables Créatures (1952), de Christian-Jaque...


Le film à sketches , contrairement à ce que l'on pourrait croire, est un dispositif fort ancien, qui permet de réunir plusieurs comédiens, et parfois même auteurs et réalisateurs , sur la même affiche... sans avoir à les gérer tous en même temps, contrairement au all-star-cast-movie, dont je vous parlais il y a quinze jours...
L'un des premiers modèles du genre fut Si j'avais un million (1931), produit par la Paramount , et qui rassemblait, les uns après les autres, Gary Cooper, Charles Laughton, WC Fields , George Raft, et bien d'autres, sous la direction de 7 (!) réalisateurs différents, dont Lubitsch.
Si il a connu d'incontestables réussites, comme le Carnet de Bal , de Duvivier, déjà évoqué ici, le genre n'a pas toujours eu bonne presse auprès de la critique, les historiettes contées étant rarement de même valeur , et n'étant pas toujours correctement agencées...
Mais le succès , en 1951, de La Ronde, d'Ophüls, a donné envie aux producteurs de tenter l'aventure...


Ici, l'ouvrage a, pour sa cohérence , l'avantage de n'avoir à sa tête que trois  maîtres à bord : les scénariste Charles Spaak et Jacques Companeez,  et le réalisateur Christian-Jaque.
Il dispose aussi, à l'instar de Carnet de Bal, d'un personnage fil rouge , celui interprété par Daniel Gélin . 


Gélin, que les méchantes langues surnommaient une erreur de casting permanent , était alors, mystérieusement, une des vedettes françaises masculines les plus célèbres et les plus sollicitées. Son succès auprès des dames (au cinéma comme dans la vie) explique qu'on lui ait donné ici le rôle d'un Don Juan, qui, suite à notre énième rupture, se remémore ses aventures passées...
Prétexte à un défilé de belles et bonnes actrices de l'époque : Danielle Darrieux , enfin revenue au premier plan grâce à Ophüls et Autant-Lara, madâme Edwige Feuillère, Renée Faure , la toute jeune italienne Antonella Lualdi, et Martine Carol, auréolée du succès de Caroline Chérie. 
Ces deux-là tombèrent amoureux, s'épousèrent , et constituèrent , pendant quelques années, un duo de choc, déjà évoqué l'année dernière.
Le film constitue, lui, un cru divertissant, mais pas exceptionnel, de ce qu'on appelait déjà et à raison la qualité française . Gélin se fait manger tout cru par des partenaires très bien servies par la mise en scène, le dialogue, et la photographie. La psychologie, la sociologie, sont d'époque.
Et Martine Carol prend un bain, car c'est , à l'époque, ce qu'elle savait faire le mieux.
Une sympathique curiosité !

A plus !

Fred.

dimanche 18 mars 2018

CINEMA DE MINUIT - CREME A LA NANA...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 30, sur France 3 : Nana (1955), de Christian-Jaque...


Nana, neuvième volume de la série des Rougon-Macquart de Zola, a connu un nombre impressionnant d'adaptations filmées : six au cinéma, trois à la télévision.
Il faut dire que le sujet est on ne peut plus cinématographique : l'irrésistible ascension d'une cocotte (prostituée de luxe) durant le Second Empire. L'occasion, aurait dit Truffaut , de faire faire de jolies choses à une jolie femme... fort peu vêtue. Le parfum de scandale hérité du roman peut aider, à l'occasion.
La version la plus connue, et la plus renommée à juste titre, est celle de Jean Renoir, signée en 1926, hommage à peine voilé du jeune cinéaste à son maître d'alors, Erich Von Stroheim...


La version de ce soir est ô combien plus opportuniste, mais tout de même réussie et intéressante : c'est le film le plus abouti de Christian-Jaque pour sa muse d'alors : Martine Carol.


On a peine à imaginer aujourd'hui ce phénomène que fut Martine Carol pour le public (essentiellement masculin !) des années 50. Dans un cinéma français qui ne fut érotisé que par le prisme des personnages de garces incarnées par Viviane Romance, Mireille Balin ou Ginette Leclerc, elle incarna , après la guerre, un nouveau type de femme sensuelle, par la grâce d'un seul film : Caroline Chérie .


Par ce personnage de jeune aristocrate délurée, insolente et déterminée, la jeune starlette accéda au vedettariat à la vitesse de l'éclair, et devint la première sex-symbol nationale , à la surprise générale.
Christian-Jaque , cinéaste déjà reconnu (Les Disparus de Saint-Agil, l'Assassinat du Père Noël), la rencontra sur le tournage d'Adorables Créatures (diffusé la semaine prochaine au CDM) , épousa ce fragile bijou et se mit en tête de lui fournir des écrins. L'atout maître de Martine était son corps, et son absence de complexe à s'en servir . Il fallait lui faire jouer des personnages sulfureux, ce qui fut fait : Lucrèce Borgia, Madame du Barry, Lysistrata dans Destinées, et, donc , Nana.
Le réalisateur, malin, évacua toute la dimension sociale du livre, et en fit un mélodrame luxueux et ironique. 
Pourquoi ce film-ci résiste-t-il mieux que les autres films de Martine Carol ? Eh bien, d'abord, parce que la magie de la coproduction offre au film un budget confortable qui lui permet de soigner une reconstitution, il est vrai, assez remarquable, et en couleurs. Ensuite, en embarquant le trio Henri Jeanson-Jean Ferry-Albert Valentin à l'écriture, Christian-Jaque mobilise le meilleur de la Qualité française, pour un résultat bien supérieur aux travaux d'Anouilh (!) sur Caroline Chérie ! Ajoutez à cela un casting trois étoiles : Charles Boyer, Jacques Castelot, Jean Debucourt, et vous emballez encore mieux le film.

Enfin, et c'est le plus important, Martine Carol trouve en Nana le personnage qui lui est le plus proche. On ne peut pas ne pas faire le parallèle entre la demi-mondaine allant de succès en succès par la simple magie de son charme, et la jeune actrice limitée devenue trop vite la Coqueluche de Paris.
Christian-Jaque fera utilement remarquer que Martine, enfin mise en confiance par son succès, avait travaillé d'arrache-pied et donné sa meilleur composition.
Elle restait une beauté fatale, servie par des costumes ahurissants, mais pas que. 
Nana fit  monter à son actrice une marche de plus. Son film suivant, Lola Montès, et l'émergence du mythe Bardot, lui feront dégringoler tout l'escalier d'un seul coup. Rude métier. Mais c'est une autre histoire, déjà contée ici.

Extrait : 


A plus !

Fred.


dimanche 11 mars 2018

CINEMA DE MINUIT - RAVALEMENT DE FACADE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 35 sur France 3 : Derrière la Façade (1939), de Georges Lacombe et Yves Mirande...


C'est ce que les américain appelaient un all-star-cast, c'est à dire un film qui empile les vedettes à son générique. Le modèle du genre, à Hollywood, était Grand Hôtel, en 1932, qui réunissait Greta Garbo, Joan Crawford, les deux frères Barrymore, Wallace Beery...


La France, si l'on excepte les productions de prestige comme Les Misérables , a tardé à copier le modèle américain . Il faut dire que nos vedettes françaises des années 30, qui, pour la plupart d'entre eux venaient du théâtre, n'étaient pas pressées de devoir partager l'écran avec une dizaine de leurs congénères.
C'est le producteur Roger Richebé qui va avoir l'idée , en 1937, de réunir Elvire Popesco, Victor Boucher, André Lefaur et Jules Berry, dans une adaptation d'une vieille pièce de Flers et Caillavet : L'Habit Vert. 

 Le succès est énorme. Dans le même temps, Duvivier frappe très fort en réunissant Raimu, Fernandel, Pierre Blanchar, Pierre-Richard Willm, Jouvet et Harry-Baur dans son Carnet de Bal. Cette fois, c'est un triomphe. Parmi les scénaristes sollicités pour ce film à sketches, il y a un dramaturge très en vogue à l'époque , Yves Mirande.



Mirande, qui est un mondain, un Parisien, comme on disait alors, connaît beaucoup de monde. Et il décide d'exploiter à fond le dispositif pour ses propres oeuvres . Derrière la Façade , avant d'être un film, est un catalogue. Un catalogue de numéros d'acteurs, et quels acteurs : Baroux, Berry, Lefaur, Gaby Morlay,  Elvire Popesco, Michel Simon,  et Erich Von Stroheim (qui disparaîtra de l'affiche du film  pendant l'Occupation).
Sans parler des seconds rôles : Carette, Andrex, Marguerite Moreno...
Malin, Mirande et son superviseur technique Georges Lacombe évitent l'écueil du film à sketches en faisant du film une enquête policière où deux inspecteurs rivaux, pour trouver la clef de l'énigme, interrogent nombre de personnages tous plus excentriques les uns que les autres.
Mirande, moins génial que Pagnol, Jeanson ou Guitry, est quand même expert en mots d'auteur et il touche souvent juste. De plus, sans doute inconsciemment, le film témoigne d'un air du temps plutôt sombre, même pour une comédie : nous sommes ici dans un univers où les voisins s'épient, se dénoncent, et où l'avenir est incertain. La France de Munich est là, et celle de Vichy grandit dans son ombre.
Un très bel exemple du cinéma français d'avant-guerre, celui des mots d'auteur et des monstres sacrés.
L'année suivante, Mirande récidivera avec Paris-New-York, qui réunira à peu près les mêmes. Le ton sera encore plus sombre, plus incertain.

A plus .

Fred.



samedi 3 mars 2018

CINEMA DE MINUIT - TES BEAUX YEUX, ILS ME FENDENT LE COEUR...

Bonjour les amis !

Dimanche, à 00 H 35 sur France 3 : Gribouille (1937), de Marc Allégret...


Je l'ai déjà écrit ici plusieurs fois, Marc Allégret est un cinéaste surestimé. Rares sont ses oeuvres connues qui ne doivent pas leur gloire à leur scénariste (Jeanson pour Entrée des Artistes, Pagnol pour Fanny, Guitry pour Le Blanc et le Noir).
Mais malgré tout, le cinéma lui doit beaucoup . Car il fut par contre le plus grand découvreur d'acteurs et actrices des années 30 à 50 . Qu'on en juge : Fernandel, Simone Simon, Bernard Blier (qui fait sa première et fugace apparition dans Gribouille !), Michel Vitold, Louis Jourdan, Brigitte Bardot, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, entre autres, ont tous fait leurs premières armes dans un film d'Allégret.
Mais sa plus belle révélation fut sans doute celle de ce film : la belle Michèle Morgan.
Celle qui s'appelle encore Simone Roussel  est présentée au réalisateur , qui tombe sous le charme, ainsi que le producteur du film. Elle est engagée aussitôt passés les premiers essais.
C'est là un sacré défi, car la demoiselle n'a que seize ans et derrière elle que de fugaces figurations , qui plus est dans de fieffés nanars.
De plus, le film est une grosse production commerciale , dialoguée par le célèbre boulevardier Marcel Achard , et réunissant le ban et l'arrière-ban des acteurs de l'époque : Pauline Carton , Carette, Jacques Baumer... entourant le colosse Raimu, vedette du film réputée peu commode. Ce n'était pas gagné pour la débutante qui choisit alors le pseudonyme de MOR (en hommage à Gaby Morlay, qu'elle admire) -GAN (par pur américanisme).
Mais la singularité de son jeu (elle a une voix plus grave que les vedettes de l'époque, et elle sussure ses répliques au lieu de les déclamer) ... et des ses yeux emportent, et largement , le morceau.
Quand à Raimu, à la surprise générale, il se montre doux comme un agneau avec sa partenaire, la prenant carrément sous son aile. Ce qui sert aisément le propos du film.
Drame réussi d'un épicier (Raimu) se retrouvant juré dans le procès d'une jeune fille (Morgan) accusée d'avoir tué son amant, et qui, peu à peu, s'attache à la personnalité de l'accusée.
Contrairement à la légende, c'est bel et bien Raimu qui se taille ici la part du lion, en livrant une de ses plus belles interprétations, mais Morgan donne une épaisseur inattendue à un rôle qui, dans d'autres mains, aurait
 pu être de pure convention.
Un regard apeuré , un visage émacié : tout autour d'elle flottait je ne sais quel air de fatalité et de détresse...  notera Marcel Achard. 



Allégret la tient et ne la lâche plus, l'associant à Charles Boyer en 1938 pour Orage. 



Enfin, il la laisse aux bon soins de Prévert et Carné, qui , pour leur Quai des Brumes, vont lui présenter un certain Jean Gabin.
La légende est en marche...

A plus !

Fred.