samedi 20 juin 2015

CINEMA DE MINUIT - DE LORRE DANS LES MAINS...

Bonjour les amis !

Demain dimanche, à 00 H 25 sur France 3 : Les Mains d'Orlac (1935) , de Karl Freund...

 Voilà un petit bijou méconnu du cinéma fantastique américain des années 30. Il faut dire que la MGM, firme prestigieuse et conservatrice , a toujours joué la valse-hésitation devant le cinéma d'épouvante, genre qu'elle méprisait, mais dont le succès, lancé par les films Universal (Dracula, Frankenstein) la faisait saliver d'envie. Et leur coup d'essai, le fameux Freaks de Tod Browning, joué par d'authentiques montres de foire, avait terrorisé le studio, et s'était soldé par un flop monumental. Ce qui avait longuement échaudé le studio...


Mais à Hollywood, le porte-monnaie gagne toujours à la fin. Trois ans après le fiasco de Freaks, est mis en chantier Les Mains d'Orlac, nouvelle adaptation d'un roman de Maurice Renard, déjà porté à l'écran en 1924, en Allemagne, par Robert Wiene, le fameux réalisateur du Cabinet du Docteur Caligari...


Cette histoire d'un pianiste virtuose, amputé des deux mains, et à qui l'on greffe celles d'un assassin, a , il est vrai, tout pour séduire les amateurs de terreur flamboyante. Cette fois, la MGM ne prend aucun risque et, pour garantir le succès de l'expédition, emprunte à la Universal une partie du personnel du film , et, d'abord, Colin Clive, qui ne fut autre que l'interprète du docteur Frankenstein dans le film éponyme et sa suite, La Fiancée de Frankenstein...


Hélas, dans les deux films, Clive fut éclipsé par son partenaire Karloff, et le dépit accentua un alcoolisme déjà endémique, qui précipita sa mort, en 1937, à l'âge de 37 ans. Triste fin, car son mal-être naturel faisait merveille dans les rôles de Frankenstein et, ici, de Stephen Orlac, ce pianiste maudit , avec ou sans mains.
Le studio chipa également à Universal le réalisateur de La Momie, monsieur Karl Freund .





Monsieur, car le sieur Freund fut un des plus grands chefs opérateurs de son époque, notamment en Allemagne, où il travailla, excusez du peu, pour Lang, Lubitsch, Murnau et Wiene, entre autres. A son arrivée à Hollywood, la Universal, très satisfaite de son travail à l'image,lui propose de passer à la mise en scène. Il tourne ainsi une poignée de films entre 1932 et 1935. La Momie est son premier, Les Mains d'Orlac son dernier. Il préfèrera rester à la MGM en tant que chef op', éclairant brillamment Garbo, Luise Rainer, Myrna Loy, et bien d'autres. Orlac, qui est son meilleur films, laisse des regrets, car il semblait avoir enfin trouvé ses marques de metteur en scène. Le film dégage en effet une authentique atmosphère de peur, qui doit beaucoup, il faut le dire, à la prestation hallucinée de Peter Lorre, dont c'est le premier film américain.

Débarqué à Hollywood après avoir fui l'Allemagne nazie, Lorre n'y était toutefois pas un inconnu, le succès de M le Maudit étant parvenu jusqu'aux Etats-Unis. Il est typique du pragmatisme américain de lui avoir tout de suite donné un rôle effrayant , celui du médecin inquiétant qui opère Orlac. Il y fait un véritable numéro, destiné sans doute à faire sa place , à marquer son territoire dans la jungle hollywoodienne. Hélas, le courant ne passera pas totalement, et , petit à petit, Lorre deviendra un prestigieux second rôle , très demandé, que l'on retrouvera dans Casablanca, Le Faucon Maltais, Arsenic et Vieilles Dentelles... Il ne retrouvera la tête d'affiche qu'associé au pittoresque Sydney Greenstreet, dans une série de films de la Warner des années 40...


Dans Orlac, on peut remarquer qu'encore une fois, Clive est éclipsé par sa co-vedette... Comme pour se faire pardonner, Lorre fera partie de ceux qui porteront son cercueil... Mince consolation...

Bande-annonce du film de ce soir :

A plus !

Fred.

jeudi 11 juin 2015

CINEMA DE MINUIT - UNE BELLE FILLE COMME ELLE...

Bonjour les amis !

Dimanche, à 00 H 25, sur France 3 : Pandora (1951) , de Albert Lewin...

Cette fois , le terme n'est pas usurpé : nous sommes en présence d'un film culte. Un film qui a marqué toute une génération de spectateurs, pour lesquels c'est peut-être le film d'amour définitif. Ah oui, que les cyniques passent leur chemin, ce film est une histoire de passion. La passion qu'éprouvent plusieurs hommes pour une seule femme, objet de convoitise, de désir, mais à jamais inaccessible : la belle Pandora, dans l'Espagne des années 30. Ces hommes sont des hommes perdus, à la recherche d'eux-mêmes , et d'un absolu, qu'ils vont trouver en cette femme... ou dans la mort, faute d'avoir pu accèder à leurs fins.
Un seul d'entre eux, semble nouer un lien particulier avec cette boîte de Pandore humaine : c'est un peintre. Non, c'est un navigateur. Euh, non : c'est le Hollandais Volant, errant depuis des siècles, à la recherche d'une femme qui se sacrifierait pour lui...
Vous l'aurez constaté, nous ne sommes pas dans le petit mélo pantoufle et boulevardier. Dans Pandora, tout est exagéré, poussé, jusqu'au lyrisme. L'Espagne est folklorique, mais le récit oscille si bien entre réalisme amoureux et intrusion du légendaire, que nombre d'historiens du cinéma n'ont pas hésité à le décrire comme surréaliste. André Breton n'aurait peut-être pas approuvé, toujours est-il que le film ne s'installe jamais dans la convention sentimentale, devenant un objet d'art unique en son genre , sublimé par un Technicolor superbe, à qui la récente restauration rend (enfin !) justice .
Ce bijou est l'oeuvre du curieux Albert Lewin.


On peut encore se demander comment ce pur intellectuel a pu devenir, à la MGM, le bras droit d'Irving Thalberg, dans un milieu où il était carrément mal vu d'être surpris avec un livre à la main...Toujours est-il que, quand il passe à la réalisation au début des années 40, il choisit des sujets pointus , ayant trait à l'art et à la littérature : The Moon ans Six Pence, son premier film, est une biographie de peintre fortement inspirée de Gauguin, interprétée par Georges Sanders, qui sera son acteur fétiche. Pour rendre l'éclat de la peinture de son héros, il intégre dans ce film en noir et blanc une séquence en couleurs !
Procédé qu'il reprendra dans son film suivant, son autre chef d'oeuvre avec Pandora : Le Portrait de Dorian Gray, indépassable adaptation du roman d'Oscar Wilde, échappant à tout académisme, riche, touffu, et porté par l'interprétation nuancée de Sanders et du jeune Hurt Hatfield, que ce rôle consumera :


S'ensuit un Bel-Ami qui déçoit, où Lewin tombe dans presque tous les pièges académiques qu'il avait su éviter jusque-là , malgré , encore une fois, la présence de Sanders.
Est-ce cet échec qui explique le silence de quatre ans séparant ce film de Pandora ?
Toujours est-il que , pour son premier film en couleurs , Lewin retrouve son inspiration et livre une oeuvre à nulle autre pareille.
Il est aidé par une distribution particulièrement glamour :


Ava Gardner est la preuve absolue ( avec Jane Russell !) , que la bombe hollywoodienne peut être brune, et que la brune hollywoodienne peut être une bombe ! Ava le démontre dès 1946, dans cet archétype du film noir torride qu'est Les Tueurs de Siodmak...


Dès lors, son sex-appeal fera d'elle le centre de nombre de films romanesques, dont La Comtesse aux Pieds Nus de Mankiewickz, et Mogambo de John Ford, où le brave Clark Gable doit choisir entre elle et Grace Kelly, le veinard !


Mais c'est Pandora qui la consacrera véritablement comme une star . Elle sera toujours reconnaissante au film, et gardera des liens étroits avec les deux pays où il a été tourné : l'Espagne et l'Angleterre.
C'est en effet une oeuvre d'exportation, destinée à rentabiliser les investissements européens de la MGM. Les scènes d'intérieur sont donc tournées aux studios de Shepperton, d'où la présence de nombreux comédiens anglais dans les seconds rôles... et celle de James Mason dans le rôle masculin principal.

Après avoir fait ses classes dans le cinéma britannique pendant dix ans, Mason accède au vedettariat grâce à ce qu'il considérait comme son meilleur film, Huit Heures de Sursis (1947), de Carol Reed, où il joue, durant toute la durée du métrage, un homme mourant et traqué, dans les rues de Belfast...


Ce rôle lui ouvre les portes de Hollywood, où il mettra du temps à s'imposer, un procès l'opposant à la firme Rank l'empêchant alors de tourner !
On peut dire que Pandora le classera définitivement parmi les meilleurs comédiens de son époque, ainsi que parmi les grands séducteurs.
Voici donc Pandora, réponse impitoyable à tous ceux qui pensent que le cinéma américain est laid, artificiel et sans inspiration.
A ne pas manquer.

Bande-annonce :

A plus !
Fred.

PS : Allez, quelques photos d'Ava, pour la route !




lundi 8 juin 2015

CINEMA DE MINUIT (à la bourre) : CETTE PETITE GARCE PORTAIT LE NOM DE MAYA...

Bonjour les amis !

Hier soir, à 00 H 25 sur F3 : Maya (1949) , de Raymond Bernard...


J'ai souvent écrit ici tout le bien que je pensais de Raymond Bernard, réalisateur d'authentiques chefs-d'oeuvre des années 20 et 30, dont une magistrale version des Misérables. Hélas, le film présenté hier soir est plutôt représentatif du déclin de l'auteur et, surtout, de son actrice principale.
Maya est en effet une commande exécutée à la demande de celle qui fut la plus magnifique garce du cinéma français : Viviane Romance.


Entendons-nous bien :le terme employé ici ne préjuge pas de la personnalité profonde de mademoiselle Romance, mais d'un type de personnage , très en vogue dans le cinéma des années 30, et que nul mieux qu'elle n'a immortalisé , à dix ans d'intervalle, et à chaque fois sous la caméra du grand Duvivier : en 1936, dans la mythique Belle Equipe, où elle incarne Gina, celle qui va faire échouer le beau rêve de guinguette d'une bande de copains...
... Et dix ans plus tard, dans Panique, première version de Monsieur Hire, où elle va manipuler, pour les beaux yeux d'un voyou, le pauvre Michel Simon.


Sa plastique généreuse, sa sensualité affirmée, qui la distinguent des gentilles Darrieux ou Morgan, ainsi qu'un réel charisme, en font très vite une des favorites du public. Les producteurs et réalisateurs, fascinés par Gina, vont alors lui donner de nombreux rôles de femmes fatales, où elle va briller, comme dans La Maison du Maltais, de Pierre Chenal (1938)...

Mais Viviane a du caractère sur les plateaux, et elle a (légitimement) peur d'être assimilée aux garces qu'elle incarne. Elle s'improvise alors scénariste et productrice de ses films. Et là, ça se gâte, très vite. Si bien que, sous l'Occupation, ses films sont davantage réputés pour leurs anecdotes de tournage orageux  que pour leurs qualités.
Panique la remet en selle, mais elle ne renonce pas à maîtriser sa carrière et choisit de produire une adaptation d'une pièce de Simon Gantillon, Maya. Cela reste un de ses rôles les plus célèbres, davantage , d'ailleurs, pour les photos de tournage, qui la mettent en valeur , que pour le film lui-même, qui ne fut guère un succès et a beaucoup vieilli.

En effet, nous en sommes ici que dans une resucée, déjà un peu dépassée, de l'histoire de la pute au grand coeur, et au destin malheureux. Il faut dire que la pièce avait été créée en 1924.
On ne sait d'ailleurs trop ce qu'il en reste, tant le film donne l'impression de mixer le réalisme fantastique cher à Prévert et Carné, et alors tombé en désuétude, au réalisme noir, alors en vogue, et lancé par les films d'Yves Allégret et Jacques Sigurd : Manèges, Une Si Jolie Petite Plage...
Du premier genre , les auteurs conservent l'amour du mot d'auteur et de la profusion de personnages. Mais là où dans Quai des brumes, ou les Enfants du Paradis, les destins de chacun s'entremêlent avec élégance et poésie, Maya mêle grossièrement des parcours que seuls une proximité géographique (un tueur en fuite se réfugie, comme par hasard, chez Maya !) semble rapprocher . Les dits personnages, notamment masculins, semblent tous , au mieux immatures, au pire légèrement toqués, y compris le marin amoureux de Maya, dont on ne saura jamais vraiment s'il la confond avec son amour de jeunesse ou pas.
De plus, le pessimisme profond du film, emprunté là au dispositif Allégret/Sigurd, ne convainc pas, tant il paraît fabriqué , et destiné à faire pleurer Margot (déprimée, Maya rencontre évidemment un sucidaire !).
L'artifice de l'ensemble apparaît dans la difficulté qu'éprouvent les acteurs à rendre leurs personnages crédibles. J'ai rarement vu le cher Dalio cabotiner autant ! Les jeunes Jean-Pierre Grenier et Philippe Nicaud incarnent des fantoches, et Inkijinoff, LE comédien oriental français de l'époque (en fait, il était d'origine mongole, mais il pouvait jouer aussi bien des chinois ou  des japonais !) dispense des sentences définitives tout au long du film.
Et si l'on retrouve l'esthétisme cher à Raymond Bernard, ce filmage baroque, ces plans de biais, l'ensemble manque de souffle et de construction.
Reste Viviane. Le projet, très visiblement, est fait pour elle . Dans chaque plan où elle apparaît, la lumière, les costumes, les dialogues, sont étudiés pour la faire briller. Un peu trop visiblement. Elle est belle, elle est juste, mais la mise en scène tient trop à nous le faire savoir.
Le moment le plus émouvant du film est beaucoup plus simple que cela : apprenant la mort de sa fille de trois ans , qu'elle avait abandonnée à la naissance, Maya décide d'aller à son enterrement. Elle passe du temps à s'habiller, puis décide de s'en fiche. Elle part à la gare, se rend compte qu'elle a oublié les fleurs. Elle en achète sur place , va pour prendre son train : elle le rate. Résignée, elle rentre chez elle.
Ce récit d'un quotidien poisseux, d'un aquabonisme viscéral, ç'aurait pu faire un beau film.
Le film marqua la fin de l'Âge d'Or de madame Viviane Romance...


A plus.
Fred.