dimanche 18 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - LE NAUFRAGE DU COMMANDANT CLOUZOT...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20, sur F3 : La Prisonnière (1968), de Henri-Georges Clouzot...


 Il y a des cinéastes pour qui la liberté absolue de création est un traquenard . Là où ils aimaient jouer avec la censure, avec l'interdit, l'ouverture totale du coffre à jouets les réduit à projeter banalement leurs fantasmes.
Ce film en est un exemple terrifiant. L'érotisme, et disons-le, un érotisme pervers, a toujours joué un rôle important chez Clouzot : qu'on se souvienne de Simone Renant et Charles Dullin reluquant Suzy Delair en porte-jarretelles dans Quai des Orfèvres, de Véra Clouzot passant la serpillère dans Le Salaire de la Peur, ou de Bardot dans La Vérité. Mais toutes ces apparitions étaient les épices de plats autrement plus consistants. Ici, on a l'impression de voir le défouloir hormonal d'un vieux cochon coincé.
Clouzot n'avait pas sorti de long métrage depuis La Vérité , en 1960, et avait été meurtri , et abîmé, par la cauchemar du tournage inachevé de l'Enfer, avec Romy Schneider et Serge Reggiani...


Les obsessions sexuelles du cinéaste, sa santé déclinante, et sa solitude depuis la mort de Véra, avaient déjà miné l'inventivité de l'auteur du Corbeau. 
La révolution culturelle, sexuelle des années 60 n'arrangera. Il troquera la jalousie, gimmick de L'Enfer , pour celui de la perversité. Mais son film a le défaut que rencontrent tous les auteurs qui veulent intellectualiser le sexe : le défaut de rendre le sexe chiant.
Ce n'est , hélas, pas un hasard, si c'est un artiste moderne, (Laurent Terzieff), qui s'amuse à photographier des femmes dans des poses humiliantes. Clouzot mêle à son obsession son attrait d'alors pour les artistes (Vasarely, Yvaral), ce qui contribue encore à dater le film. Le fait que sa victime consentante (Elisabeth Wiener), soit une bourgoise mariée au directeur d'une galerie d'art ( Bernard Fresson) , accentue encore le côté mélo coquin pompidolien.
Les expérimentations visuelles, nombreuses, ne font, hélas, que camoufler la vacuité de l'ensemble. 
Pis , les atouts permanents, même dans ses films les plus faibles, du réalisateur n'apparaissent pas : les dialogues sont secs , ou prétentieux, et surtout, surtout, la distribution manque de pertinence. . Terzieff et  Fresson , malgré leur talent, paraissent bien falots par rapport aux cadors d'antan. Ce qui est d'autant plus rageant, que, pour des rôles quasiment de figuration, Clouzot fait appel à des acteurs autrement solides ! (Piccoli, Vanel, André Luguet, Dany Carrel, Claude Pieplu, et même Dario Moreno !). Et la belle Elisabeth, qui fera ensuite une bien belle carrière de chanteuse, est juste décorative. Mais ne jetons pas la pierre aux acteurs, qui ont des personnages quasi indéfendables. La vérité (hé hé !), c'est que nous nous trouvons en face d'un cinéaste qui n'a plus de jus, de quelqu'un qui a dominé le cinéma français pendant vingt-cinq ans, qui a tout donné, et qui s'est arrêté trop tard.
Pour moi qui admire Clouzot, revoir ce Clouzot-là , le dernier, est toujours un calvaire.

Le sado-masochisme, encore une fois, méritait mieux que ce pensum. 

A plus !

Fred.

Photos du film :








dimanche 11 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - L'ESPION QUI VENAIT DE L'ASILE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20 , sur F3 : Les Espions (1957), de Henri-Georges Clouzot...


Les grands films de Clouzot ont tous leur nom dans l'Histoire du Cinéma, souvent évoqués, souvent cités..
Tous sauf un : celui-ci , qui est le chef d'oeuvre injustement méconnu de Clouzot.
Il est encore difficile aujourd'hui de comprendre ce qui a mené le cinéaste à cet étrange huis-clos en asile psychiatrique.
D'autant que le cinéaste de la noirceur et du désespoir semblait avoir découvert l'amour du beau, et de la couleur,  en filmant un peintre au travail (et quel peintre !) dans Le Mystère Picasso...


Mais ce documentaire fut un échec commercial. Clouzot décida alors de renouer avec le public, et de frapper un grand coup avec ce qu'il voulait être une tragédie noire de l'ère atomique, selon ses propres termes.
En 1957, la guerre froide bat son plein. Ces nouveaux combattants, à la fois gentils (les nôtres) et méchants (les autres), que sont les espions, font leur apparition dans les journaux, et dans les romans de Ian Fleming ou de Graham Greene. Le cinéma , lui, ne sait pas trop encore comment appréhender ces héros d'un type nouveau. Les années 60 verront la Boîte de Pandore s'ouvrir...
Pour Clouzot, un monde d'espions, c'est un monde de secrets, un monde d'observateurs et d'observés, et, donc, évidemment, un monde paranoïaque.
D'où l'idée d'adapter un tout petit roman hongrois pour en faire une vaste métaphore de notre monde devenu fou.
Le docteur Mélic, directeur d'un asile psychiatrique à la dérive qui ne compte plus que deux clients, accepte , à la demande d'un officier anglais, d'accueillir, dans le plus grand secret, un espion. Aussitôt, du jour au lendemain, son établissement se retrouve envahi de personnages louches. Mélic va se retrouver au centre d'un jeu qui le dépasse...
Là où Les Diaboliques limitait le huis cos à trois personnages, Les Espions joue sur le foisonnement, l'invasion, le grouillement. Pour marquer l'incompréhension, la barrière de la langue et le danger de l'étranger, Clouzot, pour la première fois, ouvre sa distribution à l'international, avec des acteurs atypiques : l'allemand O.E.Hasse, spécialiste outre-rhin des films de guerre, Curd Jurgens,  l'américain Sam Jaffe, pilier du film noir, et bien sûr, le plus cosmopolite des acteurs, Peter Ustinov.


Ces agents trop curieux harcèlent sans pitié le pauvre docteur Mélic, joué de façon très sobre par Gérard Séty.

Ce fut une idée très originale de confier le rôle principal du film, très effacé, très victime, à un artiste célèbre à l'époque pour son numéro de transformiste. Le symbole est évident.


Je parlais de foisonnement, je n'exagère pas, la distribution du film étant la plus dense d'une oeuvre de Clouzot. On retrouve les fidèles ( Louis Seigner, Pierre Larquey, Jean Brochard), madame Véra, encore peu gâtée dans le rôle d'une muette (son dernier !) , mais aussi toutes une galerie de gueules , connues ou non, accentuant la dimension inquiétante du film : Gabrielle Dorziat, Daniel Emilfork, Clément Harari, Martita Hunt, Sacha Pitoëff, et même des figurants ayant pour nom Robert Dalban ou Jacques Dufilho !
Le tout au service d'un film étouffant, qui a déconcerté le public et la critique.
Henri Jeanson ouvrit le feu dans le Canard Enchaîné : Clouzot a fait Kafka dans sa culotte.
A quelques exceptions près, l'accueil fut tout aussi glacial, et le film, un désastre commercial.
Il est vrai que Clouzot, au fil du tournage, se rapprochait de plus en plus du caractère distancié, ironique de l'auteur de la Métamorphose (certaines scènes sont très drôles), s'éloignant de la dimension tragique souhaitée.
C'est cette instabilité permanente qui, pour moi, fait la grandeur du film. Et qui a décontenancé tout le monde.
Une dernière chose : la scène finale, que je vous laisse découvrir, est un des moments les plus glaçants que j'aie pu voir au cinéma.
Bonne séance !

PS : ayant compris que le film était plus décalé qu'il ne l'escomptait, le réalisateur confia la conception des affiches... au jeune Siné ! Big Up, Bob !

 A plus !

Fred .

Sources :
Cinéma Français, l'Âge d'Or, Collectif, Editions Atlas, 2005 .
Lettre au Docteur Malic, article d'Henry Colonne, in Positif N°27, Février 1958.
Les Espions, Juste en faire trop, article de Vincent Casanova, in Positif n°579, Mai 2009.




lundi 5 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - DU SANG DANS L'ENCRIER...

Bonjour les amis !

Hier soir, à 00 H 15 sur F3 : Les Diaboliques (1955), d'Henri-Georges Clouzot...

 Que dire, encore aujourd'hui, du film le plus célèbre de son auteur ? Que dire, sans en gâcher la découverte à ceux, qui, heureux mortels, ne l'ont PAS encore vu ?
Qu'il s'agit, peut-être, ici, du seul film à suspense pouvant faire jeu égal avec les plus grandes réussites de Sir Alfred Hitchcock. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si ce dernier, qui s'était fait griller la politesse par Clouzot sur les droits de cette nouvelle de Boileau et Narcejac, adaptera une autre de leurs oeuvres pour en faire son fameux Vertigo.
Il fallait un certain sang froid et un mauvais esprit certain pour situer l'action de ce polar noir, si noir ... dans une école, et pour faire de son personnel une succession d'êtres vils, froids, ou bêtes.


Paul Meurisse campe un directeur odieux , qui fait des économies sur le dos des élèves qu'il martyrise. Economies d'autant plus injustifiées que l'argent est , en fait, celui de sa femme, jouée par Véra Clouzot .


Femme qu'il trompe, au vu et au su de tous, avec l'institutrice jouée par Simone Signoret.


Humiliées, les deux femmes se rapprochent et décident de tuer le salaud...

Exercice de style de haut vol, le film est également du Clouzot pur sucre, les personnages étant mus par la cruauté, la haine, la perversion ou la bêtise.

A l'instar de Louis Jouvet dans Quai des Orfèvres, l'inspecteur joué par Charles Vanel se contente, distant et blasé, de compter les points de ce sinistre règlement de comptes.

Comme à son habitude, le réalisateur bétonne sa distribution avec ses briscards fétiches : Larquey, Brochard, Roquevert, et aussi deux petits jeunes, promis à une longue carrière : Michel Serrault et Jean Lefebvre.Tous campant des imbéciles ou des médiocres.

Mais le film est également un bijou de virtuosité visuelle, notamment dans sa dernière partie, se déroulant de nuit, dans la pension déserte, et où l'auteur réaffirme son amour des lumières contrastées et angoissantes.

Les chipoteurs considèrent encore aujourd'hui que , malgré ses qualités évidentes, les film est plombé par le jeu (mauvais) de Véra Clouzot. Paul Meurisse, dans ses mémoires, n'épargne pas la néophyte, et reproche même au réalisateur d'avoir saboté la lumière de Signoret pour mettre en valeur Madame.

Nous ne saurons jamais si une actrice plus valeureuse aurait porté le film plus haut. Mais, à l'arrivée, encore une fois, Clouzot, par la solidité de son dispositif , son efficacité, fait oublier la manque d'incarnation du maillon faible du trio.

Un film à voir, à revoir, et, comme le disait le panneau final :

A plus !

Fred.