samedi 29 octobre 2016

CINEMA DE MINUIT - GRANDEUR DE GRANGIER...

Bonjour les amis !

Demain soir, à 00 H 20, sur F3 : Le Désordre et La Nuit (1958), de Gilles Grangier...


Enquêtant sur le meurtre d'un patron de boîte de nuit, l'inspecteur Valois tombe amoureux de Lucky, une jeune droguée... 

Il est grand temps de revoir un peu à la hausse une partie de l'oeuvre du sieur Grangier.
Assimilé par la Nouvelle Vague et les paresseux à la cohorte de cinéastes classés "Qualité Française" (Delannoy, de la Patellière) qui assuraient le quotidien du cinéma commercial français, il fut considéré comme un simple faiseur, un des plus fidèles yes-men de Gabin, qui ne serait contenté que de le regarder balancer les répliques d'Audiard.
Le réexamen de leurs nombreuses collaborations des années 50 laisse apparaitre, au contraire, un très grand soin, et une véritable recherche d'originalité .
Le Désordre et la Nuit est la cinquième rencontre Gabin/Grangier, et la quatrième en trio avec Audiard. C'est aussi, après Le Sang à la Tête et Le Rouge est Mis, leur troisième polar.



Et c'est leur meilleur. Malgré les objections de Gabin, qui se trouvait trop vieux pour jouer les amoureux , il joue ici un flic cueilli par une gamine en mauvais état. Peu d'acteurs savaient alors jouer la fragilité comme Gabin. Qui a tué le patron de la boîte de nuit ? Finalement, cela importe peu.
Grangier crée une atmosphère crépusculaire dans un Paris nocturne qui ressemble aux quartiers les plus louches de New York. Les personnages sont tous blasés ou abîmés. Audiard, très en forme à cette époque, aligne les répliques cinglantes et désabusées. Et pourtant, le film, l'un des préférés de son auteur, ne raconte rien d'autre qu'une histoire d'amour.
Le film marque également les retrouvailles de Gabin avec Danielle Darrieux , après Le Plaisir, et surtout La Vérité sur Bébé Donge...


Darrieux est impériale , encore une fois, dans un rôle, comme celui de Gabin, à contre-emploi : celui d'une pharmacienne impitoyable, qui fait du trafic de drogue pour arrondir ses fins de mois... Mais les deux personnages ne se rencontrent pas beaucoup, et, à son grand dam, DD se fait faucher la vedette par la révélation du film : Nadja Tiller...


Cette autrichienne à la beauté assez ahurissante était alors une vedette du cinéma allemand. C'est peu de dire qu'elle fit beaucoup d'effet à Gabin et à Grangier. Le premier n'eut pas grand peine à jouer son désir, et le second faisait régulièrement des heures supplémentaires pour la faire répéter. Le résultat est extrêmement convaincant, et son jeu troublant de belle fille paûmée constitue un des nombreux atouts du film.

Grangier et son équipe parviennent ainsi à éviter tous les clichés du genre et à livrer une oeuvre profonde et originale.
Les idolâtres de la Nouvelle Vague et les paresseux sont encore nombreux aujourd'hui à dire que le polar français n'existait pas dans les années 50, ou qu'il n'avait aucun intérêt. Plusieurs noms sont là pour contredire cette idiote thèse : Jean-Pierre Melville, Jules Dassin... et Gilles Grangier.

Extrait : 


A plus !

Fred.

samedi 22 octobre 2016

CINEMA DE MINUIT - ARCHANGE OU DEMON ?

Bonjour les amis !

Désolé de vous avoir laissé si longtemps sans nouvelles, parfois, la vie va trop vite, et pas toujours dans le sens qu'on voudrait...

Toujours est-il que....

Demain soir, à 00 H 20, sur France 3 : Gabriel Over The White House (1932), de Gregory La Cava...

 
 Judson Hammond, président des Etats-Unis , est un homme médiocre et impuissant . Victime d'un accident de voiture, il tombe dans le coma. Quand il en sort, il devient un autre homme, et décide de prendre les choses en main.

Voilà un film à prendre avec de grosses pincettes.
Certes, il est intéressant à plus d'un titre. D'abord, il annonce une recette qui sera chère, quelques années plus tard, à Frank Capra  : celle du John Doe, citoyen banal, qui, mû par la grandeur de sa charge et de ses responsabilités, se transforme en une sorte de héros civique. Il est difficile de ne pas penser , superficiellement, à L'Homme de la Rue ou à Mr Smith au Sénat...

 
Louis B.Mayer, lui, patron de la très conservatrice MGM, productrice du film, verra carrément dans cette histoire une apologie de Franklin Roosevelt et de sa doctrine dirigiste et étatiste . Pour ne pas être taxé de partialité , et surtout parce qu'il soutenait le candidat concurrent, Mayer attendra la fin de la campagne présidentielle pour sortir le film.
D'où la réputation de film rooseveltien que se trimbale le film. Réputation largement réductrice , nous allons le voir.
En effet, le nouveau président Hammond ne se contente pas d'être un homme providentiel : il prétend être la voix de l'archange Gabriel venu apporter l'ordre et la paix sur la terre . Et comment ? En résorbant le chômage, en régulant la finance, en combattant les gangsters. Mais aussi en mettant au pas un Congrès forcément corrompu et/ou feignant, et en mobilisant les forces militaires au service de l'Ordre ( les états étrangers sont contraints, sous la menace de l'armée, de régler leurs dettes de guerre !). Il ne fonctionne pas avec une équipe, des conseillers, il parle et décide SEUL, et sa voix est sacrée, puisque c'est celle de l'archange, voir plus haut. Où est le souci de démocratie, là-dedans ? Eh bien, oui, vous avez bien répondu, nulle part.
Plus qu'une synthèse des thèses de Roosevelt, le film fait donc l'étrange apologie d'une sorte de fascisme mystique , d'un régime autoritaire accepté par tous car venant d'en haut.
Le film est de 1932 : Mussolini est au pouvoir depuis dix ans, Staline également , et Hitler s'apprête à prendre le pouvoir. Gabriel démontre par l'étrange exemple que les années 30 furent bel et bien celles des totalitarismes, avec ce qu'elles pouvaient avoir alors d'attractif, et osons les mots, de lyrique et de flamboyant.
A la tête de ce douteux convoi, Gregory La Cava.

Cet ancien cartooniste des temps héroïques, travailla ensuite sur les comédies de W.C.Fields. C'est dans ce genre qu'il brillera, dans la deuxième partie des années 30, avec des classiques comme My Man Godfrey :


Mais ici, il est un peu compliqué de retrouver son style, tant le film (et c'est aussi une grosse différence avec Capra !) manque totalement d'humour, ce qui accentue encore le côté malsain de la démonstration.

La distribution est purement MGM : Karen Morley, le jeune Franchot Tone, et, dans le rôle du président,  Walter Huston, le père de John, dont ce fut un des rôles les plus importants .


Pour ceux qui s'intéressent au politique dans le cinéma classique, ce film est à ne pas rater , en tant que reflet ambigu d'une époque. Pour les autres, le choc risque d'être rude : allez plutôt revoir Mr Smith au Sénat...

Extrait : 


A plus !

Fred.

Sources :
Coursodon/Tavernier, 50 ans de Cinéma Américain, édition de 1991, Omnibus.
Anonyme, La Fabuleuse Histoire de la MGM, 1977, Le Livre de Paris.