dimanche 11 septembre 2016

CINEMA DE MINUIT - L'ESPION QUI VENAIT DE L'ASILE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20 , sur F3 : Les Espions (1957), de Henri-Georges Clouzot...


Les grands films de Clouzot ont tous leur nom dans l'Histoire du Cinéma, souvent évoqués, souvent cités..
Tous sauf un : celui-ci , qui est le chef d'oeuvre injustement méconnu de Clouzot.
Il est encore difficile aujourd'hui de comprendre ce qui a mené le cinéaste à cet étrange huis-clos en asile psychiatrique.
D'autant que le cinéaste de la noirceur et du désespoir semblait avoir découvert l'amour du beau, et de la couleur,  en filmant un peintre au travail (et quel peintre !) dans Le Mystère Picasso...


Mais ce documentaire fut un échec commercial. Clouzot décida alors de renouer avec le public, et de frapper un grand coup avec ce qu'il voulait être une tragédie noire de l'ère atomique, selon ses propres termes.
En 1957, la guerre froide bat son plein. Ces nouveaux combattants, à la fois gentils (les nôtres) et méchants (les autres), que sont les espions, font leur apparition dans les journaux, et dans les romans de Ian Fleming ou de Graham Greene. Le cinéma , lui, ne sait pas trop encore comment appréhender ces héros d'un type nouveau. Les années 60 verront la Boîte de Pandore s'ouvrir...
Pour Clouzot, un monde d'espions, c'est un monde de secrets, un monde d'observateurs et d'observés, et, donc, évidemment, un monde paranoïaque.
D'où l'idée d'adapter un tout petit roman hongrois pour en faire une vaste métaphore de notre monde devenu fou.
Le docteur Mélic, directeur d'un asile psychiatrique à la dérive qui ne compte plus que deux clients, accepte , à la demande d'un officier anglais, d'accueillir, dans le plus grand secret, un espion. Aussitôt, du jour au lendemain, son établissement se retrouve envahi de personnages louches. Mélic va se retrouver au centre d'un jeu qui le dépasse...
Là où Les Diaboliques limitait le huis cos à trois personnages, Les Espions joue sur le foisonnement, l'invasion, le grouillement. Pour marquer l'incompréhension, la barrière de la langue et le danger de l'étranger, Clouzot, pour la première fois, ouvre sa distribution à l'international, avec des acteurs atypiques : l'allemand O.E.Hasse, spécialiste outre-rhin des films de guerre, Curd Jurgens,  l'américain Sam Jaffe, pilier du film noir, et bien sûr, le plus cosmopolite des acteurs, Peter Ustinov.


Ces agents trop curieux harcèlent sans pitié le pauvre docteur Mélic, joué de façon très sobre par Gérard Séty.

Ce fut une idée très originale de confier le rôle principal du film, très effacé, très victime, à un artiste célèbre à l'époque pour son numéro de transformiste. Le symbole est évident.


Je parlais de foisonnement, je n'exagère pas, la distribution du film étant la plus dense d'une oeuvre de Clouzot. On retrouve les fidèles ( Louis Seigner, Pierre Larquey, Jean Brochard), madame Véra, encore peu gâtée dans le rôle d'une muette (son dernier !) , mais aussi toutes une galerie de gueules , connues ou non, accentuant la dimension inquiétante du film : Gabrielle Dorziat, Daniel Emilfork, Clément Harari, Martita Hunt, Sacha Pitoëff, et même des figurants ayant pour nom Robert Dalban ou Jacques Dufilho !
Le tout au service d'un film étouffant, qui a déconcerté le public et la critique.
Henri Jeanson ouvrit le feu dans le Canard Enchaîné : Clouzot a fait Kafka dans sa culotte.
A quelques exceptions près, l'accueil fut tout aussi glacial, et le film, un désastre commercial.
Il est vrai que Clouzot, au fil du tournage, se rapprochait de plus en plus du caractère distancié, ironique de l'auteur de la Métamorphose (certaines scènes sont très drôles), s'éloignant de la dimension tragique souhaitée.
C'est cette instabilité permanente qui, pour moi, fait la grandeur du film. Et qui a décontenancé tout le monde.
Une dernière chose : la scène finale, que je vous laisse découvrir, est un des moments les plus glaçants que j'aie pu voir au cinéma.
Bonne séance !

PS : ayant compris que le film était plus décalé qu'il ne l'escomptait, le réalisateur confia la conception des affiches... au jeune Siné ! Big Up, Bob !

 A plus !

Fred .

Sources :
Cinéma Français, l'Âge d'Or, Collectif, Editions Atlas, 2005 .
Lettre au Docteur Malic, article d'Henry Colonne, in Positif N°27, Février 1958.
Les Espions, Juste en faire trop, article de Vincent Casanova, in Positif n°579, Mai 2009.




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