mercredi 7 août 2013

CAHIER DE VACANCES 4 - JEAN POIRET...


Cher Jean,
j'espère que tu vas bien là où tu es.
Déjà plus de vingt ans depuis ce jour de 1992 où, dans la cour de mon lycée, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre : "Jean Poiret est mort !" - Hein ? - Jean Poiret est mort ! - Non ? Tu veux dire Jean Marais ? - Non, non, pas Jean Marais, Jean Poiret !! - OH ?
Personne n'y croyait . Pardon pour lui, mais il nous aurait paru beaucoup plus logique que ce fût Marais. Il était plus vieux. Et moins drôle. D'ailleurs, toi, tu ne pouvais pas mourir , puisque ce n'était pas drôle. Et que tu étais TOUJOURS drôle.
Peu de gens osent le dire aujourd'hui, mais ton vieux compère Serrault t'a toujours un peu volé la vedette. Déjà, dans vos formidables sketches, qui étaient dus à ta plume déjà vive, il emportait le morceau avec ses personnages déjantés , te laissant le rôle de l'intervieweur malicieux à l'oeil goguenard, comme dans cet extrait de l'émission Trente-Six Chandelles , où vous avez pour comparse le tout jeune et chevelu Paul Préboist...


Vous êtes alors une hydre à deux têtes : Poiret-Serrault. Depuis la formation de votre duo au début des années 50, vous êtes la coqueluche des cabarets,  de la télé, de la radio, et , même, dans une moindre mesure, du cinéma, où vous apparaissez , le plus souvent dans des petits films, pour ne pas dire des nanars. Mais vous avez quand même eu  l'insigne honneur de vous substituer , à sa demande, au Maître Sacha Guitry, malade, pour porter la parole de son dernier film, Assassins et Voleurs (1957) :


Mais la bête est gourmande . Les sketches ne lui suffisent plus . Tu vas alors t'atteler , bien avant La Cage aux Folles, à l'écriture de pièces pour le tandem : Sacré Léonard ou Opération Lagrelêche. Tout ça marche bien, très bien, trop bien pour vous laisser , à l'un comme à l'autre , le temps de vous lancer dans une carrière sérieuse au cinéma : on voit tout de même Serrault chez Clouzot ou chez Audiard, quant à toi, tu débutes une fructueuse collaboration avec la "bande à Mocky" : Bourvil , Francis Blanche et toi-même avez envie de films et de rôles grinçants . Vous serez servis avec Un Drôle de Paroissien, La Cité de l'Indicible Peur et La Grande Lessive ( 1968) :


A la fin des années 60, vous tentez, Serrault et toi, de vous séparer . Serrault, très vite, explose avec Le Viager de Tchernia. Tu connais, de ton côté, le succès au théâtre avec Le Canard à l'Orange. 
Mais tu as l'idée d'une pièce . Une pièce de bouevard, qui , pour la première fois, mettrait en scène un couple gay (comme on ne disait pas encore) . Avec qui la jouer , cette pièce ? L'évidence s'impose.
A peine brûlée, la bête Poiret-Serrault renaît de ses cendres , et pour un gigantesque incendie : une pièce jouée à guichet fermés de 1973 à 1977.


Mais la mort de la fille de Serrault, en 77, change la donne : ton vieux compère veut donner un nouveau sens à sa carrière . Il y parviendra , et brillamment. Quand à toi, il te faut avancer, un peu à ton corps défendant.
Car ce que ton comparse a révélé, il y a quelques temps, dans ses mémoires, c'est que le malicieux beau gosse que tu étais cachait un sacré angoissé, un fieffé neurasthénique, inquiet pour un oui, pour un non. La fin de Poiret-Serrault, tu le vis un peu comme un pas vers le précipice. 
Truffaut te propose le rôle d'un pseudo-Guitry dans Le Dernier Métro, et Granier-Deferre celui d'un patron odieux dans Que les Gros Salaires lèvent le Doigt. Mais tu as peur que ces contre-emplois ne te fassent perdre l'affection du public. De plus, le cinéma vient de te faire un gros affront en confiant, pour la version filmée ,  ton rôle de La Cage aux Folles à Ugo Tognazzi .  Alors, tu retournes une nouvelle fois au Boulevard, avec Joyeuses Pâques, et surtout, tu te diriges vers la télévision. Pas dans un feuilleton, mais dans des émissions de variétés, notamment chez Drucker, où tu seras l'invité impertinent, imprévisible, drôlissime, imbattable pour faire décrocher le présentateur ou chambouler la plage horaire. Tu inventes ce qu'on appelle aujourd'hui le bon client. Luchini s'en souviendra, et pas qu'un peu.
On attendait Champs-Elysées avec impatience, quand on savait que tu y serais...
Et puis vint Chabrol. Qui te confia, alors que peu de gens y croyaient, peut-être même pas toi, le rôle... d'un flic : l'inspecteur Lavardin. Cette fois, le malicieux bonhomme s'accompagnait d'un manipulateur inquiétant, qui savait, on l'a parfois oublié , pratiquer la manière forte sur ses suspects :


Les deux films de Chabrol donnèrent lieu à une série télé , où le personnage était, évidemment, adouci : tu étais redevenu indubitablement populaire, ce qui ne pouvait que te réjouir.
Apaisé apparemment, tu te mis alors en tête de faire un cadeau à ta tendre épouse, Caroline Cellier : passer derrière la caméra pour filmer le (mauvais) roman d'Alexandre Jardin, le Zèbre. On aurait tant voulu que tu en joues le rôle-titre . Mais non : peur de paraître trop âgé ? Envie de donner un beau gosse comme partenaire à madame ? Quoi qu'il en soit, Lhermitte joua à ta place. Le film ne fut pas bon. Mais personne ne l'a jamais dit. Car entre la fin du tournage et la sortie du film, tu es mort. Subitement. D'un arrêt cardiaque.


Restait le sentiment d'une énorme injustice , et la chanson du film, par Souchon, gros succès à l'époque, qui nous évoquait à chaque fois ton oeil malicieux et tes vannes ironiques.
Tu nous manques, Jean, car Luchini, lui, quand il cause, ne sait jamais quand s'arrêter. L'élégance du fripon, ce n'est pas donné à tout le monde.

Bises , Jean.
On se voit à la rentrée.



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