dimanche 21 août 2016

CINEMA DE MINUIT - MAUDIT OISEAU...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 23 H 40 (Fichtre !) , sur France 3 : Le Corbeau (1943) d'Henri-Georges Clouzot...


 Rarement film aura porté en lui une telle charge sulfureuse et suscité tant de commentaires contradictoires .
Le Corbeau est-il un chef d'oeuvre ou une monstruosité ? Le débat, qu'on croyait clos, continue pourtant chez les historiens, du cinéma ou non.
En fait,pour moi,  tout est une question de contexte. Autant ; lorsque je présente des Films Patrimoine en salle, je m'attache à resituer le film dans son époque, autant je considère que , pour apprécier Le Corbeau, il faut, impérativement , le sortir de son contexte.
Qu'avons-nous à la base ? L'adaptation romancée d'un fait divers authentique, survenu dans les années 20,  à Tulle , eh oui, qui fut inondée pendant des mois par des dizaines de lettres anonymes signées du même auteur, créant un climat de psychose dans la ville.
Clouzot et son scénariste Louis Chavance décidèrent de faire de l'anecdote un tableau de la vie provinciale. Mais un tableau à la Clouzot, un tableau cruel, désespéré, méchant, où les victimes du corbeau sont presque toutes aussi antipathiques que lui. Dans cette ville , tout le monde est éclopé, physiquement ou moralement : le docteur Germain (Pierre Fresnay), accusé d'être un avorteur, est un homme froid, distant et cynique. Celle qui l'aime, (Ginette Leclerc), a un pied bot , et sa soeur est une adolescente nymphomane. Les notables sont poisseux . Tout le monde ment, ou tout le monde se tait. L'atmosphère est détestable, et la découverte du coupable ne changera en fin de compte pas grand'chose à la misère locale.
Dialogue à couper au couteau , mise en scène précise et tendue, nous sommes ici dans ce que beaucoup considèrent comme un des plus grands films français, et le plus beau film tourné sous l'Occupation.
L'Occupation. Nous y voilà.
Car si on remet le film dans le contexte de son époque, le trouble revient.
1943 est l'année charnière, l'année la plus dure. La Zone Libre a disparu, les Allemands sont partout, et Vichy apparaît de plus en plus comme une simple courroie de transmission de l'horreur occupante. L'esprit de résistance commence à gagner , et à apparaître aux yeux des perspicaces... même au cinéma.
Un film va cristalliser ce sentiment : Pontcarral, général d'Empire, de Jean Delannoy, avec Pierre Blanchard...


Cette épopée napoléonienne, bien oubliée, connut un succès surprenant, car, selon les contemporains, elle permettait au spectateur de s'inscrire dans un sentiment national, de vivre le patriotisme par procuration, sans crainte d'être arrêté. Les spectateurs, à la fin du film, applaudissaient la France en même temps que Pontcarral.
Tout le contraire du Corbeau, portrait à charge de nos compatriotes. La presse clandestine s'empara du film , en dénonçant le caractère défaitiste, prétendant même que le film était exploité en Allemagne sous le titre Une Petite Ville Française. C'était faux. Circonstance aggravante : le film était produit par la Continental, la fameuse firme allemande installée en France. Il s'agissait donc, aux yeux des résistants, d'une authentique oeuvre de propagande pro-nazie.
Un critique communiste ira même jusqu'à écrire, en 1947 : "Sous la plume du corbeau, je devine l'Aigle Hitlérien !"
Autant vous dire que le film prendra cher à la Libération : interdit pendant deux ans , il verra son réalisateur interdit d'exercer son métier à vie (l'amnistie viendra en 1947), et son acteur principal , Pierre Fresnay, passer six semaines en prison...

C'est le moment de préciser que Fresnay fait ici une de ses plus grandes compositions , loin de ses jeunes premiers fades des années 30 ( Marius !). Froid, antipathique, mystérieux, le docteur Germain, en enquêteur, est un anti-héros, impuissant car étranger à une communauté malade et silencieuse.
Encore une fois, il serait trop long de citer toute la distribution, sinon que Ginette Leclerc, en amoureuse transie, boîteuse, malheureuse et aigrie, trouve le deuxième rôle (courageux !) de sa vie, après La Femme du Boulanger.  Remarquons Pierre Larquey, Louis Seigner, Jean Brochard, Roger Blin, Sylvie, Pierre Bertin...

... Ou encore Héléna Manson...


... Qui trouve ici son rôle le plus fameux dans le rôle d'une infirmière sèche et asociale : sa traque dans les rues de la ville par la population  est un des plus beaux moments de ce bijou.

Et moi, alors, qu'est-ce que j'en pense, de la polémique autour du Corbeau ?

Eh bien, tout dépend de la conception que l'on a de la notion d'Intelligence avec l'Ennemi...

Pour moi, à mon avis, un spectateur de l'époque qui allait voir le Corbeau n'en ressortait pas regonflé à bloc, motivé, désireux de se battre , ou même de bonne humeur. Il en ressortait déprimé, choqué, défiant envers l'être humain, peu soucieux de son prochain. Seul au monde.
Et ça, en 1943, ce n'était pas anodin, quoiqu'on en dise.

Il n'en est plus de même aujourd'hui. Et je vous encourage vivement à ne surtout, surtout pas manquer cette nouvelle diffusion de ce très, très grand classique.

A plus !

Fred.

 

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