dimanche 28 décembre 2014

CINEMA DE MINUIT - LE RASOIR QUI RASAIT...

Bonjour les amis et Joyeux Noël en retard !

Ce soir, à 00 H 15 sur France 3 : Le Fil du Rasoir (1946), d'Edmund Goulding...


Drôle de programmation entre Noël et le Jour de l'An. Autant Carmen Jones, diffusé la semaine dernière , était un film jubilatoire, autant Le Fil du Rasoir est une de ces oeuvres de prestige qui ont fait beaucoup de barouf à leur sortie, et qui ne valent aujourd'hui plus grand'chose.
Le film a été mis en oeuvre pour relancer la carrière de Tyrone Power.


Avant-guerre, il est une des idoles d'Hollywood, on le voit comme le nouveau Rudolf Valentino, et la Fox a réussi, de plus,  a en faire un habile concurrent d'Errol Flynn, en le faisant jouer dans des films d'aventures trépidants comme Le Cygne Noir, et, surtout Le Signe de Zorro :


Il part à la guerre en 1943 . A son retour, il a vieilli. La Fox décide alors de réorienter sa carrière vers des rôles sérieux. Darryl F.Zanuck choisit donc d'adapter un grand roman de l'auteur en vogue, William Somerset Maugham, et chosit pour metteur en scène un des meilleurs directeurs d'acteurs de l'époque, Edmund Goulding.

(Ici, avec Power sur le tournage du Charlatan, tourné l'année suivante...)

Goulding se fait connaître en 1932 , avec le célébrissime ( et un peu surestimé ) Grand Hôtel, où il parvient à gérer sur le même plateau Greta Garbo, Joan Crawford, Wallace Beery, et les deux frères Barrymore, ce qui n'était pas une mince affaire...


Son secret ? Eh bien, d'après les témoignages de ses collaborateurs, Goulding ne jurait que par le jeu de l'acteur. Peu lui importait de donner du rythme à la scène par le découpage, peu lui importait le placement de la caméra, Goulding voulait du jeu. Sa méthode de travail consistait à répéter jusqu'à l'envi une scène le matin, et de la filmer, de préférence en une seule prise, l'après-midi. Ce système, qui impliquait énormément les comédiens, plaisait énormément à ceux-ci. Et particulièrement à Bette Davis, que Goulding filma beaucoup à la Warner, dans des mélos qui ont fait date, comme La Vieille Fille ou Victoire sur la Nuit.


La période Warner-Davis est la meilleure de Goulding. A la Fox, il ne retrouva pas sa liberté de travail, et fut submergé par les exigences de Zanuck et les objectifs de commande.
La production ne lésine pas sur les moyens : 4 millions de dollars,  presque 90 décors somptueux, et trois mois et demi tournage. Les piliers de la Fox sont là pour sauver le soldat Power : Clifton Webb, Herbert Marshall, et la belle Gene Tierney, la mythique Laura, ici dépourvue de l'étrangeté qui la caractérise.
Car la fidélité très grande à l'oeuvre parfois pataude de Maugham, le découpage pachydermique (le film dure deux heures trente !), la volonté de faire date et de faire beau tuent la puissance mélodramatique du film , qui conduit pourtant le spectateur de Paris à Chicago en passant par l'Himalaya. 
Seule originalité de ce Rasoir, qui conte les aventures parallèles de deux amoureux séparés par la vie : les préoccupations métaphysiques (!) du personnage de Larry, joué par Power. On parlait fort peu de spiritualité , alors, à Hollywood. Mais , hélas, là aussi, le respect tue la bonne idée.
La seule à tirer son épingle du jeu est la jeune Anne Baxter, qui, pour son interprétation de la femme délaissée et alcoolique de Power, remportera l'Oscar du meilleur second rôle en 47.


Comme quoi, Goulding savait encore être un grand directeur d'actrices...

A noter qu'un remake avec Bill Murray fut tourné en 1984, raté lui aussi . Malédiction ?



A plus et bonne fin d'année !

Fred.



dimanche 21 décembre 2014

CINEMA DE MINUIT - LE BIZET QUI FIT SCANDALE...

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20, sur France 3 : Carmen Jones (1954), d' Otto Preminger...

 
Oh, qu'il y en eut, des adaptations de Carmen au cinéma, oh nom d'un chien ! Je ne vous les énumérerai pas toutes, mais de DeMille à Godard en passant par Rosi, chacun a voulu sa petite rouleuse de cigares !
Mais la version qui vous est proposée ce soir est sans doute la plus sulfureuse,  la plus jazzy ... et la plus black !
En effet, Carmen Jones  est une adaptation vraiment très libre de Bizet, dont elle ne ne garde que les principales mélodies. Pour le reste, le redoutable auteur de comédies musicales Oscar Hammerstein II ( Show Boat , le Roi et Moi, plus tard La Mélodie du Bonheur) a tout bousculé , situant l'action durant la Seconde Guerre Mondiale ( le spectacle fut créé en 1943 à Broadway), modifiant les professions des protagonistes ( Carmen travaille dans une usine d'armement, José/Joe est parachutiste), et, surtout, faisant incarner tous les personnages par des afro-américains ! Le but étant de faire swinguer l'opéra de Bizet ! Ce fut une réussite, et même un triomphe sur scène, et l'on ne doit sans doute qu'au racisme latent de certains pontes d'Hollywood d'avoir dû attendre dix ans pour voir la pièce sur grand écran !
Il faut dire qu'à l'époque , Otto Preminger est la bête noire des censeurs, pour s'être opposé frontalement aux censeurs du Code Hays avec son film La Lune est Bleue, où une jeune fille cherche à perdre sa virginité...


... Mais qu'il est aussi la coqueluche de la Fox, notamment pour avoir fait tourner ensemble Mitchum et Marilyn dans La Rivière sans Retour...


Il obtient donc presque carte blanche  pour sa première comédie musicale, ainsi que le tout nouveau procédé Cinémascope. Lui reste à choisir sa Carmen et son José. Pour José, son choix se porte sur un tout jeune chanteur, Harry Belafonte.


Celui-ci vient de recevoir un Tony Award pour ses prestations à Broadway. C'est le début d'une longue et belle carrière jonchée de tubes réjouissants , comme le légendaire Day-O, chanté ici avec les Muppets  :


Et Carmen, c'est Dorothy Dandridge.

Contrairement à Belafonte, qui deviendra un des ses proches amis, Dandridge n'est pas une débutante . A 10 ans, au milieu des années 30, elle débarque à Hollywood avec sa soeur et court le cachet.


Remarquée par la MGM, elle participera à moult courts métrages , et sera, régulièrement, la chanteuse noire de service pour les Marx Brothers, Abbott et Costello, et j'en passe... Elle allait s'enterrer dans ces utilités quand Preminger fit appel à elle. Sa carrière connut alors un bel essor, vite brisé par une vie privée tumultueuse et une addiction aux médicaments. Elle meurt en 1965, à l'âge de 43 ans.
Le film fut donc un succès , qui fit de Dandridge et Belafonte des stars du jour au lendemain, et les lança comme ...  chanteurs . Ce qui est un comble si l'on considère qu'ils sont tous deux doublés pour le chant dans le film. 
Détail insolite qui n'a, finalement que peu d'importance , le film étant littéralement porté par les arrangements jazzy de Hammerstein et Hershel Burke Gilbert, la sensualité de ses deux interprètes ( Dandridge est sans doute la Carmen la plus sexy de l'histoire du cinéma) , et par la mise en scène particulièrement inspirée de Preminger, dont la caméra est aussi dynamique que les percussions de la BO ! Bref, un joyau, original, érotique et audacieux, de l'Âge d'Or du musical hollywoodien !
Joyau méconnu en France, pour une bonne raison : il y fut interdit jusqu'en 1981 !
Contrairement à la légende, ce n'est pas la famille de Bizet qui a exigé cette interdiction, mais celle des librettistes Meilhac et Halévy, qui considéraient qu'il s'agissait d'un détournement. Il semblerait que, là aussi, une question de racisme ait influé sur la décision des deux zozos. Les librettistes, ça ose tout, c'est à ça qu'on les reconnait .

Ne manquez pas ce film !

Bande-annonce :

Bonnes fêtes à tous !

Fred.


dimanche 14 décembre 2014

CINEMA DE MINUIT - AH, L'ECOLE CLAUDINE !

Bonjour les amis !

Ce soir, à 00 H 20 sur F3 : Claudine à l'Ecole ( 1937), de Serge de Poligny...

 Réalisateur bien oublié, Serge de Poligny fut pourtant l'auteur de deux des plus beaux films fantastico-romantiques des années 40 : Le Baron Fantôme (1943), et La Fiancée des Ténèbres (1945) .



Il ne profitera pas longtemps de ces succès , et disparaîtra de la circulation dès la fin des années 40. Parcours météorique pour ce décorateur promu tâcheron , qui fit ses gammes sur les sinistres nanars de la Paramount France, avant de devenir le réalisateur anonyme des doubles versions françaises des succès de la UFA allemande . Est-ce Douglas Sirk, réalisateur de son dernier doublon, La Chanson du Souvenir, qui l'enouragea a voler de ses propres ailes ? Toujours est-il qu'il change alors de braquet, et se lance dans ce Claudine à l'Ecole.  Adapter Colette était une gageure, la dame étant alors un monument national , ainsi qu' un personnage pittoresque et en vue. Poligny met toutes les chances de son côté en bétonnant son casting : le père de Claudine sera joué par le tonitruant , populaire et vieillissant Max Dearly, vedette du caf'conc' et des revues d'avant-guerre... Les truculentes Jeanne Fusier-Gir, Suzet Maïs et Margo Lion incarnent le personnel de l'école.
Quand au docteur Dubois , dont Claudine est amoureuse , il est interprété par Pierre Brassseur, dont c'est un des premiers rôles importants, avant qu'il ne se spécialise dans les rôles de  mauvais garçons ou de forts en gueule.
Et les jeunes, alors ? Eh bien, contrairement à Raymond Bernard la semaine dernière, le metteur en scène a le nez creux .

 Sa Claudine est l'adorable Blanchette Brunoy. Fille de l'écrivain Georges Duhamel, sa jolie frimousse et son jeu moderne la promettent à un grand avenir. Mais, à l'instar de Paulette Dubost, elle ne parviendra pas à détrôner les reines de l'écran , Morgan, Darrieux, Presle, et échangera sa velleité de vedettariat contre une carrière de fond d'une longévité assez exceptionnelle , puisqu'elle participera même à la série Julie Lescaut dans les années 90 !
On remarque également, dans le rôle du jeune, tout jeune confident de Claudine, Mouloud, une certain Marcel Mouloud... ji (!), qui se fera ensuite remarquer dans Les Disparus de Saint-Agil et Les Inconnus dans la Maison, avant de devenir le chanteur que l'on sait...



Le goût de Poligny , le savoir-faire d'une époque (musique de Misraki) font de ce film un charmant petit film désuet d'avant-guerre...

Extrait :



A plus!

Fred.






dimanche 7 décembre 2014

CINEMA DE MINUIT - JUGEMENT EN SURSIS...

Bonjour les amis !

Pour des raisons de fichu planning chargé, je chroniquerai ultérieurement "Le Récif de Corail" , le film de la semaine dernière...

Ce soir, à 00 H 20 : Le Jugement de Dieu (1949-52), de Raymond Bernard...

  Raymond Bernard restera, pour les cinéphiles, le maître d'oeuvre de deux chefs d'oeuvre du début du parlant français : Les Croix de bois, et Les Misérables, déjà chroniqués ici, je n'y reviendrai pas. Bernard restera un très grand réalisateur jusqu'au début des années 40.
Ensuite, profondément marqué par l'Occupation (il est le fils de Tristan Bernard, qui fut déporté), il réalsiera un très beau film de résistance, Un ami viendra ce soir, sorti en 1946.
Après ? Eh bien, après, c'est flou. Après, c'est le film de ce soir, sur lequel j'ai eu, ma foi, bien du mal à trouver des infos. Cette épopée médiévale est tournée en 49, mais elle mettra... trois ans  à sortir, en 1952 ! Ce qui n'est pas bon signe...
Le film est visiblement prétexte à lancer deux nouvelles vedettes : la jeune Andrée Debar...


 ... qui patinera un certain temps avant d'être remarquée dans le rôle de La Garçonne , d'après le célèbre roman de Victor Margueritte, mis en scène par Jacqueline Audry en 57... Mais c'est dix ans après le film de ce soir, et ça ne suffira pas à installer durablement son nom : au début des années 60, elle devient produtrice , où son principal titre de gloire , c'est le Crésus de Giono...


Quand au jeune premier, c'est Jean-Claude Pascal.


Jean-Claude Pascal ou l'histoire d'un malentendu. Ce beau gosse est en effet un des rares, et des meilleurs , crooners de la chanson française, qu'il investit au début des années 50. Homme charmant et intelligent, il sait se faire des amis, et un répertoire : Gainsbourg, Bernard Dimey, Ferrat écrivent pour lui, et Pierre Delanoë lui donne sa plus belle chanson, Soirées de Prince.


Hélas, hélas, il est aussi acteur . Et tous les critiques de reconnaître qu'il restera toujours comme comédien bien en-dessous de ses dons de chanteur, qu'on lui donne des rôles valables ( Le Grand Jeu , deuxième version, de Feyder, en 54), ou cornichons (Un Caprice de Caroline Chérie et Le Fils de Caroline Chérie)...


Eh bien, le Jugement de Dieu  est le premier film de Jean-Claude Pascal, et l'on ne sait pas si l'on doit se réjouir de cette découverte. Il y est teint en blond, et c'est peut-être la meilleure raison de découvrir ce film, et peut-être d'infirmer le mauvais pressentiment que j'ai au sujet de cette obscure histoire de sorcellerie...


A plus.

Fred.